top of page
  • LinkedIn

Tandis que Trump tweet, que l’Iran résiste et qu’Israël détourne les regards, le Moyen-Orient brûle.

  • Photo du rédacteur: Anthony Trad
    Anthony Trad
  • 7 juil.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 août

ree

Par Anthony TRAD, président de Stradegy Advisory, analyste en géopolitique et défense au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.


Dans cette poudrière toujours en ébullition qu’est le Moyen-Orient, où chaque étincelle peut embraser la région tout entière, trois acteurs orchestrent une tragi-comédie. Trump, en chef de scène, divertit par la diplomatie du tweet, brouillant la frontière entre farce et réel message politique. L’Iran ronge patiemment les fragiles équilibres régionaux par un chaos calibré et un marionnettisme de ses « frôlons ». Quant à Israël, dissimulant derrière le paravent sécuritaire ses desseins expansionnistes, voir messianique, laisse l’hubris d’un homme redessiner la carte à coups de feu et de fer. Pendant ce temps, la région se consume, au grand jour.


Depuis deux semaines, les silos iraniens s’embrasent, et les missiles balistiques strient la nuit comme des orages. Le Hezbollah gronde, sans encore mordre. Le régime iranien saigne, chancelle, mais ne plie pas. Israël cible et décapite les figures de proue du régime et du programme nucléaire Iranien, poursuivant la même éradication méthodique des proxies depuis le 7 octobre – atteignant, désormais, le « boss final » à Téhéran. Là, les généraux et les scientifiques tombent un à un. Washington l’appelle Midnight Hammer, Tel-Aviv, Rising Lion.


Mais que cherchent vraiment Netanyahu et Trump ? Retarder la bombe ? Renverser un régime ?


Le monde observe, hébété, à la recherche de réponses, dans un Moyen-Orient où le feu devient langage, et l’équilibre, illusion.


Trump et la “twiplomacie”


Donald Trump ? Showman un jour, showman toujours. Sous sa plume numérique, les tweets sont devenus des dépêches diplomatiques : ils court-circuitent conseillers, conférences de presse et codes traditionnels pour imposer un théâtre en temps réel. Ce qui se murmurait jadis à huis clos se crie désormais en majuscules sur les écrans du monde.

Sa méthode “tweeter d’abord, réfléchir ensuite” a imposé une doctrine : l’imprévisibilité comme stratégie, l’ambiguïté comme arme. Un tweet peut annoncer la guerre, la paix ou les deux en l'espace de quelques heures.


Son apogée ? Opération Midnight Hammer. En 25 minutes, 120 appareils dont 7 bombardiers furtifs B-2 larguent 75 munitions guidées sur trois sites d’enrichissement nucléaire iraniens. Quatorze « bunker-busters » GBU‑57, d’une puissance équivalente à 15 voitures plongeant à la vitesse maximale d’impact d’un Boeing 747 entraînèrent le ballet militaire le plus spectaculaire depuis la guerre du Golfe : rapide, chirurgical, mais avant tout pour Trump… spectaculaire !


L’objectif n’a jamais été purement militaire. Pour Trump, cette frappe est une démonstration de force mise en scène pour obtenir, par le choc, ce que soixante jours de négociations n’avaient su arracher : la capitulation de Téhéran – ou du moins, l’illusion de celle-ci. Pour lui, l’outrance visuelle vaut mieux que "la lenteur" du processus. Dans son récit, Trump s’imagine en unique architecte de la paix, auto-rédigeant la suite de son ouvrage révisionniste "L’art du deal", rebaptisé "La paix par la force".


Lors de son investiture, Trump promettait de « mettre fin aux guerres » et « d’apporter la paix au Moyen-Orient ». Aujourd’hui, la région brûle plus intensément que depuis des décennies. Peut-on bombarder son chemin vers la paix ? Un président peut-il entrer dans l’Histoire à coups de tweets ou seulement s’exposer à son jugement ? De plus en plus, la réponse semble évidente : lorsque la mise en scène supplante la politique, la paix n’est plus le prix Nobel à gagner, mais le prix à payer.


Et cette mise en scène, que Trump baptise lui-même sa « guerre des 12 jours », sembler reposer sur quelques illusions. Croire qu’une frappe éclair pourrait « anéantir » l’appareil nucléaire iranien ou forcer une reddition inconditionnelle relève de la fiction – et Téhéran ne s’y trompe pas. Le récit de Trump domine peut-être les manchettes, mais il ne dicte en rien les réflexes de survie du régime. L’Iran joue sur le temps long. Et il ne postule pas pour un rôle dans un scénario qu’il n’a pas écrit.


L'Iran s’adapte


Au lendemain des opérations Midnight Hammer et Rising Lion, la République islamique d’Iran n’a pas chuté comme beaucoup l’avaient précipitamment prédit. Blessée mais loin d’être brisée, Téhéran devient plus paranoïaque, plus calculateur, et plus que jamais centré sur sa mission cardinale : assurer, coûte que coûte, la survie du régime

.

Malgré les assassinats ciblés de généraux et de scientifiques nucléaires, le pays – 75 fois plus grand qu’Israël – conserve une profondeur stratégique considérable. Même après la perte d’ingénieurs de haut rang, plus de 2 000 scientifiques liés au nucléaire resteraient actifs. L’ayatollah Khamenei, 86 ans et désormais explicitement visé, aurait déjà désigné trois successeurs potentiels à son trône théocratique. Et si certains hauts gradés des Gardiens de la Révolution ont été éliminés, leurs protégés, formés dans les traumatismes des sanctions et nourris au martyre idéologique, semblent prêts à prendre la relève avec une loyauté plus ardente encore.


À l’image de l’Hydre mythologique, le système iranien semble programmé pour se régénérer sous l’attaque : tranchez une tête, d’autres poussent – souvent plus impitoyables. Face aux rumeurs de dissidence, d’espionnage ou de résurgence monarchiste portée par le fils du Shah en exil aux États-Unis, le régime resserre la vis. La détention d’hier devient la disparition d’aujourd’hui. Téhéran ne vacille pas  : il s’enracine, et compte redoubler la coercition et le contrôle.


La réponse iranienne à Midnight Hammer résume bien sa doctrine. Moins de 24 heures après l’attaque, Téhéran frappe la base américaine d’Al-Udeid au Qatar – cible molle mais symbolique, entre allégeance occidentale et proximité iranienne. Aucun blessé : les tirs avaient été annoncés à Doha, à l’image de la riposte calibrée sur les bases américaines en Irak post-assassinat de Qassem Soleimani en 2020.


Il ne s’agissait pas d’escalade, mais d’un message : l’Iran est toujours debout, defiant et loin d'être neutralisé. La déclaration de cessez-le-feu de Trump, à l’issue de sa soi-disant « guerre de 12 jours », a été immédiatement disqualifiée par cette nouvelle salve iranienne. Un geste que les politologues Kydd et Walter (2006) qualifient de « sabotage stratégique » : une tactique qui vise à empêcher toute dynamique de paix en décrédibilisant l’adversaire – ici Trump – comme naïf, manipulable, tandis que l’Iran se montre indomptable et imprévisible.


Des images satellites, captées peu avant les frappes, ont révélé des convois près de Fordow, probablement en train de déplacer de l’uranium ou du matériel sensible. L’attaque semblait anticipée. Trump a peut-être crié à l’“anéantissement”, mais sur le terrain, il ne s’agirait au mieux que d’un simple retard – de quelques mois, voire d’années.

Désormais, Téhéran poursuivra l’enrichissement, dans le flou stratégique. Il pourrait suspendre certaines clauses du TNP, sans jamais franchir le seuil du déclenchement direct. C’est du chantage nucléaire calibré : assez agressif pour conserver l’effet de levier, suffisamment mesuré pour éviter la guerre ouverte.


Et dans ce jeu de roulette russe géopolitique orchestré par Trump, Moscou pourrait bien trouver une ouverture stratégique. Officiellement, le Kremlin a condamné l’escalade, mais son alliance avec l’Iran est plus profonde, plus ancienne. Fournisseur de drones à Moscou pour la guerre en Ukraine, Téhéran a gagné ses faveurs. Des rumeurs évoquent déjà des partenariats nucléaires « civils » facilités par la Russie au Moyen-Orient, à l’image de ses opérations en Afrique, du Burkina Faso au Soudan.


Mais l’Iran n’est pas suicidaire. Il jouera des fractures entre Washington et Tel-Aviv, flattera l’ego de Trump si besoin, et reviendra à la table des négociations – à ses conditions cyniques. La diplomatie du chat et de la souris de Téhéran est de retour, plus affûtée que jamais. Son réseau de proxies, bien qu’affaibli par les assassinats ciblés et revers militaires, se reconstruira – sous des formes nouvelles, nourries par deux ans de pertes tactiques et de réflexion stratégique.


La question n’est plus « l’Iran tombera-t-il ? », mais « jusqu’où sa résilience peut-elle aller ? ». Sur cet échiquier mouvant, Téhéran ne joue pas la victoire, mais la survie – avec la froide patience et tenacité d’une bête blessée qui refuse de mourir.


Israël : Une mission inachevée, ou une diversion de Gaza ?


Israël est entré en lice avec des objectifs maximalistes : totalement anéantir les infrastructures nucléaires iraniennes, décapiter l’élite du renseignement militaire et sécuritaire du régime, et semer le chaos intérieur. Résultat ? Partiel, au mieux. Des sites ont été frappés, des commandants éliminés. Mais ni le cœur du programme nucléaire, ni le régime n’ont cédé. Rising Lion a peut-être rugi, mais il n’a pas brisé l’échine de l’Iran.


Et maintenant ? Tel-Aviv devrait revenir à ses tactiques éprouvées : sabotage, assassinats ciblés, opérations de l’ombre. Pour Netanyahu, ce n’était pas un épisode isolé, mais un maillon d’une chaîne existentielle allant de Gaza à Beyrouth, de Damas à Téhéran – où l’attendait le désormais “boss final”. Chaque affrontement lié autant à la survie politique de Bibi qu’à celle de l’État. Et cette campagne, longtemps préparée, pourrait bien être la plus ambitieuse de toutes.


Pourtant, l'intervention massive de Washington pourrait avoir mis à mal le principal prétexte de Netanyahou : l'urgence de la menace nucléaire iranienne. Si ce prétexte s’effondre, que reste-t-il ? Une visée plus profonde, suspectée depuis longtemps : le changement de régime. Pas la dissuasion. Pas l'endiguement. Une implosion interne.


Un autre enjeu se dessine : celui de la diversion. L’opération israélienne contre l’Iran semble aussi avoir permis de “détourner tous les regards de Rafah” (pour reprendre et inverser le slogan), et de l’enfer silencieux de Gaza. L'opération était trop précise, trop coordonnée et trop opportune pour être improvisée. Ce qui interroge une asymétrie flagrante : comment Israël peut-il viser des généraux iraniens dans leur lit, frappant un seul appartement dans un immeuble sans endommager les étages voisins, alors qu’à Gaza, des quartiers entiers sont rasés pour éliminer un simple combattant présumé ?


L’écart est saisissant – et pourtant rarement interrogé. Avec ses capacités technologiques, Israël démontre que la précision est possible lorsqu’elle est désirée. Alors, à Gaza, faut-il parler d’échec technique ou d’intention assumée ? Les images en Iran parlent. Le silence sur Gaza hurle.


Mais Israël a-t-il bien mesuré les conséquences ? Si le Hezbollah, affaibli mais pas éradiqué, se réactive même partiellement au nord, ou si les proxies iraniens – de l’Irak au Yémen – coordonnent leurs ripostes, Israël pourrait faire face à un feu croisé incontrôlable. Le Dôme de fer est performant, mais pas infaillible. La saturation demeure son talon d’Achille. Une attaque simultanée sur plusieurs fronts pourrait faire basculer toute la région dans une conflagration historique.


Le Moyen-Orient brûle


Le Moyen-Orient ne s’effondre pas. Il se redessine – violemment, peut-être irréversiblement. Deux hommes, peut-être trois, en redéfinissent les contours : l’un depuis Jérusalem, adossé sans réserve à Washington, l’autre depuis Téhéran. Tous jouent leur survie. Tous jouent avec le feu.


Ce n’est pas la fin d’une guerre, mais l’ouverture d’une nouvelle phase, où les lignes rouges n’empêchent plus : elles incitent. La diplomatie a cédé la place au spectacle. Les missiles parlent plus vite – et plus fort – que les sommets.


Mais que se passe-t-il lorsque les flammes franchissent les frontières ? Quand les guerres par procuration deviennent des guerres principales ? Et surtout : qui contrôle le feu… lorsque le feu pense par lui-même ?


Sommes-nous revenus au statu quo d’avant le jeudi 12 juin ? En apparence, oui – mais avec des cicatrices plus profondes, et des leçons que personne n’oubliera. La guerre n’est pas finie. Elle change juste de forme.

Commentaires


Les commentaires sur ce post ne sont plus acceptés. Contactez le propriétaire pour plus d'informations.
bottom of page