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L’onde de choc à venir d’un effondrement du Liban sur la région

  • Photo du rédacteur: Anthony Trad
    Anthony Trad
  • 7 févr.
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 avr.

"OPINION. Alors que Benjamin Netanyahou persiste dans une politique exclusivement sécuritaire, chaque frappe militaire israélienne enflamme un cycle de violence qui éloigne un peu plus l’espoir d’une paix durable au Moyen-Orient. En renforçant les rangs de ses ennemis et en alimentant les tensions régionales, le Premier ministre israélien compromet non seulement la sécurité de son pays, mais également l’avenir du Liban et de sa propre diaspora. Face à une crise démographique et géopolitique sans précédent, le Liban pourrait être contraint à repenser son équilibre communautaire, tandis que la communauté internationale reste étrangement silencieuse."


Par Anthony Trad, spécialiste en géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord et Sébastien Boussois, chercheur en sciences politiques.


L'histoire du Liban est celle d'un paradis perdu, condamné à errer entre rêves brisés et luttes intestines. Ce pays, autrefois symbole de prospérité et de diversité culturelle, cette mosaïque de religions et de peuples, est aujourd'hui devenu le ventre mou du Moyen-Orient, sombrant dans un chaos inextricable où opprimés et capitaux arabes, qui s'y réfugiaient dans les années 1950 et 1960, n'y trouvent plus que désolation. Chaque jour, ce pays du « miel et du vin », mentionné soixante-dix fois dans la Bible, se révèle trop petit pour absorber les malheurs de ses voisins et trop vulnérable pour endiguer les ambitions de ceux qui s'en servent comme champ de bataille.


Comment ce pays, autrefois surnommé la « Suisse du Moyen-Orient », a-t-il pu devenir cet espace chaotique, où s’entrechoquent les ambitions contradictoires des parrains régionaux, rendant sa double identité de terre refuge et de « pays message » vouée à l’incompatibilité. C’est pourtant le seul espace au monde où chrétiens et musulmans, chiites et sunnites, catholiques et orthodoxes cohabitent dans un fragile désordre organisé.  

 

Depuis 2022, cette harmonie est brisée : le Liban n’a plus de président depuis deux ans, sa classe politique est discréditée, son système bancaire en ruines, et sa population est prise en étau entre un pouvoir corrompu, une milice surarmée et un voisin prêt à tout détruire. Chaque jour, ce pays du « miel et du vin », mentionné soixante-dix fois dans la Bible, se révèle trop petit pour absorber les malheurs de ses voisins et trop vulnérable pour endiguer les ambitions de ceux qui s’en servent comme champ de bataille.


Netanyahou : l'absence de stratégie politique renforce le chaos


L'État hébreu se pose en rempart face à l'expansion du « croissant chiite » qui s'étend de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad, Damas et Sanaa. Mais derrière cette posture se cache une réalité pernicieuse : chaque frappe israélienne, chaque raid militaire, alimente un cycle de haine et de violence qui éloigne Israël de toute forme de sécurité durable. Ces actions enracinent une haine tenace chez les survivants de familles décimées. Par ses représailles systématiques, Netanyahou cultive une génération entière d'ennemis jurés, résolus à venger un jour leurs proches disparus. Leur avenir, forgé sous le fracas des explosions, ne laisse que peu de place à la paix. En attisant les braises de la haine, Netanyahou façonne déjà les combattants de demain. En parallèle, le Liban s'apprête à subir un bouleversement démographique sans précédent. Près d'un million de chiites fuient le Sud bombardé et viennent rejoindre les deux millions de réfugiés syriens et les 400 000 Palestiniens implantés, soit près de la moitié des habitants du pays. Cette marée humaine, mélange de déplacés de guerre et de réfugiés sur leur propre terre, entraînera un "grand remplacement et un déplacement", bouleversant l'équilibre communautaire fragile, marginalisant les chrétiens un peu plus encore et achevant un État déjà à genoux.


Le désir de vengeance né dans les ruines de Gaza, de Beyrouth ou de Nabatiyeh se propagera pour atteindre les diasporas juives à travers le monde, perçues comme complices d'un État jugé oppresseur. L'antisémitisme né en Europe au siècle dernier explose déjà et provoque le départ d'un nombre croissant de juifs européens vers... Israël en guerre ! L'État hébreu, qui certes se défend après les massacres du 7 octobre, paie déjà le prix économique de son isolement: perçu comme une forteresse assiégée, Israël voit son rêve de 'Silicon Valley' s'effondrer, avec 46 000 entreprises fermées depuis le 7 octobre et prédit à 60 000 à la fin de l'année, tandis que les firmes internationales hésiteront de plus en plus à s'associer à un pays devenu synonyme de conflit permanent. Netanyahou ne brillera pas dans l'histoire par un retour rapide à la politique pour résoudre le conflit. Or, quelle autre solution ?


La stratégie du tout-sécuritaire, déconnectée de toute dimension diplomatique, pourrait à terme mettre aussi en péril l'avenir d'Israël. Par son obstination à remodeler seul le Moyen-Orient par la force, « Bibi » se noie dans une hubris stratégique aussi dangereuse que vaine, répétant les erreurs américaines post-11 septembre, où l'usage excessif de la force n'a engendré que désordre et montée du terrorisme. En tentant de « déhezbollahïser » le Liban, de renverser le régime iranien, et de rallier l'Arabie saoudite par la persuasion, Netanyahou s'enlise dans une confrontation sans issue. Dans sa quête de sécurité immédiate, Netanyahou compromet dangereusement l'avenir de son pays et de sa diaspora, créant un cercle vicieux de haine et de vengeance dont personne, ni à Tel-Aviv, ni ailleurs, ne sortira indemne.


Une « DMZ » au Moyen-Orient : utopie ou réalité ?


Face à l'incapacité de la communauté internationale à imposer une trêve durable, l'idée d'une zone démilitarisée (DMZ) entre le Liban et Israël, voire entre Israël et la Palestine, mérite d'être sérieusement explorée. Inspirée du modèle coréen, cette DMZ servirait de barrière de séparation entre "deux états", tout en garantissant la sécurité des civils grâce à un appui aérien dissuasif et des patrouilles de surveillance. L'incapacité des 11 000 casques bleus de la FINUL, réduits à de simples spectateurs depuis 1978, montre les limites d'un tel projet si leur mandat n'est pas amendé. Pour être efficace, une DMZ nécessiterait un mandat militaire musclé, des moyens de dissuasion technologiques (drones, radars) et une force d'intervention capable de neutraliser toute violation, qu'elle provienne d'acteurs étatiques ou non-étatiques.


Dans cette perspective, l'OTAN et les puissances européennes doivent jouer un rôle central. La France, investie d'une responsabilité historique envers le Liban, doit prendre les rênes d'une coalition internationale pour stabiliser son pré carré levantin. Pourtant, cette implication demeure inexistante, contrastant avec l'effort massif consenti par les pays occidentaux pour soutenir l'Ukraine. Alors que des milliards ont afflué dès les premières heures de l'invasion russe, le Liban, qui se débat dans une crise existentielle, est délaissé. Cette inaction souligne une hypocrisie flagrante : prompts à soutenir Kiev, les Européens détournent le regard du Liban. Les États arabes, de leur côté, observent en silence, avec Mohammed ben Salmane en tête, espérant qu'un Hezbollah affaibli leur évitera d'avoir à affronter l'Iran directement - ils préfèrent laisser Israël s'épuiser à faire le 'sale boulot', tout en se présentant en défenseurs de la cause palestinienne. Dans un tel contexte de calculs cyniques, une DMZ ne deviendrait réalité que sous la pression d'une action commune Américano-Française.


Quel avenir pour le Hezbollah ?


Depuis 1979, l'Iran se pose en nouvelle « Rome » du chiisme, étant l'unique théocratie gouvernée par un religieux (avec le Vatican), érigeant la République islamique en protectrice des musulmans opprimés et championne de la cause palestinienne. Son bras armé au Levant, le Hezbollah, fondé en 1982, incarne cette mission régionale. Délaissée par des pays sunnites fatigués de la soutenir, la cause palestinienne est devenue le terrain de bataille quasi sacré des combattants du Hezbollah, prêts à mourir en martyrs sur la « route de Jérusalem », à la manière des croisés d'autrefois. Pourtant, le Hezbollah n'est pas qu'un simple prolongement de Téhéran : il puise sa légitimité dans un ancrage local profond. Près de 40 % des Libanais sont issus de la communauté chiite, créant un lien organique qui rend toute tentative d'affaiblissement risquée, car susceptible de déstabiliser l'équilibre précaire du Liban. Un effondrement désordonné du régime iranien pourrait transformer le Hezbollah en une milice sans maître, ni direction politique, plongeant le Liban dans une seconde guerre civile. Pour éviter ce scénario, une « libanisation » progressive du Hezbollah apparaît salutaire. Intégrer pleinement, le Hezbollah au sein de l'appareil d'État libanais supposerait d'intégrer cette milice redoutée à l'armée nationale libanaise, afin que le gouvernement régisse les décisions de paix ou de guerre. Cette évolution, bien qu'hypothétique à ce stade, pourrait même voir la nomination d'un officier chiite à la tête de l'armée, reflétant ainsi les réalités confessionnelles du pays. Toutefois, une telle normalisation nécessite un apaisement préalable entre Téhéran et Tel-Aviv. Tant que les tensions persistent, le Hezbollah restera avant tout un acteur militaire, pris dans l'étau de ses ambitions régionales et aspirations locales.


Pour sortir de cette impasse, le Liban doit cesser d'être le pion sacrificiel des puissances étrangères et se réapproprier son destin. Plus qu'un simple soutien financier, il a besoin d'un brain-drain inversé : un retour temporaire d'une partie de sa diaspora, forte de 15 millions de personnes disséminées aux quatre coins du monde — entrepreneurs, experts militaires et intellectuels — pour reconstruire son armée, ses infrastructures et ses institutions politiques. Cette initiative devrait s'accompagner de la nomination d'un Haut-Commissaire pour la Reconstruction, chargé de coordonner le redéveloppement des villages détruits et de garantir la coopération entre la diaspora, les autorités locales et les partenaires internationaux. L'affaiblissement du Hezbollah, même sans son éradication politique, pourrait ouvrir une fenêtre inédite pour refonder un État rééquilibré et véritablement représentatif. Si cette opportunité historique est saisie, le Liban pourrait enfin briser les chaînes de la dépendance, rompre avec l'image d'un pays en ruines, et redevenir un modèle de résilience, de tolérance et de prospérité au cœur d'un Moyen-Orient fracturé. Car si l'Histoire enseigne que c'est souvent dans les moments les plus sombres que les peuples se réinventent, alors le Liban doit saisir cette chance de renaître de ses cendres.

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